La vague des cryptomonnaies déferle actuellement sur le Québec qui, grâce à des tarifs alléchants, a retenu l’attention des mineurs de cryptomonnaies, grands consommateurs d’électricité. Doit-on les accueillir ou les rejeter?
Des différences subtiles, mais importantes
Disons d’abord que le principe même du minage n’est pas une proposition économique intéressante ni du point de vue de la création d’emplois ni de celui de la création de valeur. L’activité comme telle est basée sur le travail de centaines, voire de milliers d’ordinateurs. Elle se fait sous l’égide d’un minimum de surveillance et d’entretien et peut s’exercer dans des locaux désuets, souvent même abandonnés qui demanderont un minimum de mise à niveau. Elle ne génère donc ni retombées économiques importantes le long d’une chaîne de valeur très courte ni retombées fiscales supplémentaires au niveau local.
De plus, l’industrie consomme des quantités astronomiques d’électricité. Hydro-Québec confirme d’ailleurs l’explosion de la demande et parle de 9 000 mégawatts pour l’ensemble des projets à l’étude (six fois la capacité de la nouvelle Romaine). Ces chiffres ont fait réagir l’entreprise qui accouchera bientôt d’une politique concernant les cryptomonnaies. Déjà, il est entendu que le secteur d’activités ne profitera pas des meilleurs tarifs de la société.
Cela dit, il existe des différences majeures entre les principaux joueurs de l’industrie. Si la plupart des mineurs ne créent ni emplois ni valeur, quelques-uns ouvrent des perspectives intéressantes tant en termes d’emplois que de valeur. Cela est possible si l’entreprise travaille à organiser des blockchains (registres distribués et sécurisés). Dans ce domaine, il est possible de rattacher les mineurs à des entreprises productrices d’emplois de haute qualité ou à des centres de données plus classiques, générant une base d’emplois ou de valeur intéressante, particulièrement en région. L’exemple de Bitfarms à Baie-Comeau l’illustre bien : « …un projet de 400 millions de dollars que nous développons à Baie-Comeau. Nous comptons y créer 500 emplois, avec notamment des laboratoires pour réparer les machines de minage et un centre de recherche et de développement », explique Pierre-Luc Quimper, un des fondateurs de Bitfarms ». (La Presse, 21 mars 2018).
Comment réagir?
Plusieurs régions se sont émues récemment de la demande importante de projets de ce type. Certaines commencent même à penser légiférer par la réglementation de zonage pour à tout le moins, encadrer le phénomène. Il est évident que la consommation d’énergie de ces centres peut devenir problématique dans la mesure où ils taxent la capacité d’accueil des parcs industriels envers d’autres entreprises qui auraient besoin de cette énergie tout en créant des retombées économiques plus durables.
Bien sûr, la collaboration d’Hydro-Québec est essentielle à ce chapitre. La société doit donc être interpellée et doit travailler de concert avec les autorités locales pour bien comprendre les impacts d’un projet de minage. Par ailleurs, la réglementation locale doit être pensée, non pour interdire (c’est un domaine en éclosion – difficile è cerner pour le moment, mais potentiellement porteur), mais encadrer la venue de ces projets. Quelques avenues explorées sont les suivantes :
Bien évaluer la capacité, la provenance et la structure financière des promoteurs;
Établir la chaîne de valeur des activités proposées;
Explorer la possibilité de la récupération de la chaleur émise pour d’autres activités économiques;
Assurer l’adéquation de l’énergie utilisée pour l’ensemble du bâtiment (souvent les mineurs utilisent 100% de l’énergie disponible d’un bâtiment, mais seulement 20 de la surface, laissant 80% de celle-ci sans énergie et donc inutilisables);
Exiger un ratio emploi/m² (ce ratio est difficile à établir et aussi à mettre en application, mais certaines villes l’ont utilisé avec succès dans les cas extrêmes (entreposage par exemple);
D’un point de vue réglementaire :
Bien décrire l’usage (ce qui n’est pas fait dans la plupart des cas – ne pas hésiter à recourir à un spécialiste de la chose pour distinguer minage, blockchains et centre de données). Il n’y a pas de code CUBF précis pour cet usage. Dans le SCIAN, le code est 518210 (Traitement de données, hébergement de données et services connexes). Ce code est également imprécis et ne distingue pas le minage de cryptomonnaies des autres activités d’hébergement de données;
Exiger le respect des normes de bruit (distance aux habitations);
Exiger la ventilation et l’isolation adéquates des lieux achetés ou loués (on peut aller assez loin dans la description technique des exigences de ventilation et d’isolation ;
Exiger la mise à niveau du bâtiment occupé – ravalement de façade, toiture, isolation, éclairage, chauffage, etc. (le cas échéant);
En soi, on peut confiner l’usage dans un parc industriel ou même dans un secteur précis de celui-ci.
En conclusion, la naissance de cette industrie est peut-être source d’intérêt. Si sa naissance est échevelée, il reste que le traitement de données est intimement lié à la croissance de l’industrie 4.0 et, à ce titre, on se doit d’être prudent pour ne pas, selon l’expression consacrée, « jeter le bébé avec l’eau du bain ».
Le minage des cryptomonnaies est une frange, peut-être indésirable, d’un domaine important qui comprend aussi bien le traitement des registres distribués et sécurisés des données nécessaires à l’intelligence artificielle que celui des données soutenant le développement de l’industrie 4.0. Il convient donc de contribuer à discipliner le milieu en éliminant les « chevaliers d’industrie » et en attirant les meilleurs éléments.
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