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Photo du rédacteurLouis Grenier

L’héritage de Fitzgibbon : à juger dans 10 ans

Dernière mise à jour : 19 sept.

Le virage que Pierre Fitzgibbon a voulu donner à l’économie québécoise ne peut être compris que si on l’étudie à la lumière de l’origine de sa formation universitaire.  Je sais de quoi je parle, puisque je suis de la même cohorte universitaire qui comprend aussi François Legault : HEC 1978.


Il faut se reporter à cette époque où naissait un nationalisme économique porté par Jacques Parizeau – qui nous enseignait la macro-économie, avant la victoire du PQ en 1976. Le message, répété par un corps professoral jeune et dynamique, était de transposer sur la scène économique la nouvelle affirmation culturelle et politique vibrante et fière d’un Québec désormais ouvert sur le monde.



On nous apprenait que l’économie du Québec, à 80% contrôlée par « l’étranger » -souvent anglophone et souvent pas si étranger que cela puisque Canadien - ne réservait historiquement que les emplois les moins payants aux « Canadiens français », nouvellement appelés des Québécois. C’était à nous, nouvelle élite francophone d’une nouvelle économie, de remédier à cette situation. On nous incitait, entre autres, à briser le cycle du pillage de nos ressources naturelles vendues à vil prix à des entreprises qui les transformaient ailleurs et nous revendaient à gros prix les produits finis ainsi manufacturés. Il fallait en quelque sorte, « sortir le Québec du colonialisme économique ». Pour ce faire, une des particularités du Québec reposait sur les outils financiers et économiques mis en place par un état québécois complice de cette nouvelle élite économique (Caisse de dépôt, Investissement Québec, Hydro-Québec et tous les organismes du même type qui les ont précédés).


Bref, quand, aujourd’hui, François Legault parle de réserver l’aide gouvernementale à des emplois manufacturiers « d’au moins 25$/heure », quand Pierre Fitzgibbon parle de créer une chaîne de valeur de la batterie, ce n’est que l’écho lointain de ces principes appris sur les bancs de HEC, plus ou moins adaptés aux réalités de l’économie actuelle.


Cela dit, si l’affirmation économique des Québécois reste un sujet de l’heure, le nationalisme économique ne se conjugue plus de la même façon. L’économie du Québec, en particulier l’économie manufacturière, ne répond que rarement aux diktats appris dans les années 1970. La mondialisation repose sur l’effacement des nationalismes étroits entre entreprises des blocs géographiques partageant les mêmes valeurs politiques ou environnementales. Des Américains, des Européens, des Australiens peuvent aujourd’hui s’allier avec des Canadiens pour former des conglomérats à l’actionnariat diffus. Le nationalisme québécois existe toujours, mais sa composante économique s’exprime d’une façon très différente de celle des années de la Révolution tranquille; elle ne se base plus exclusivement sur la langue ou sur l’homogénéité de l’origine ethnique et fait table rase du complexe du « né pour un petit pain ».


Autre considération, l’économie du Québec repose davantage sur des PME produisant des produits nichés vendus à travers la planète ou du moins à travers ces blocs géographiques aux valeurs similaires.


Cela dit, l’économie québécoise – à l’instar de celle du Canada – demeure une économie largement basée sur l’exploitation de ses ressources naturelles. Pierre Fitzgibbon a donc décidé d’utiliser la richesse de ces ressources pour tenter, pour une fois, d’enrichir la chaîne de valeur d’une industrie naissante en favorisant un maximum de transformation sur le territoire québécois. Ce faisant, il s’attaque bien sûr à une opposition féroce, chaque coin de pays du monde s’arrachant les faveurs des champions de cette nouvelle économie.


Or, on voit que ces champions sont des colosses aux pieds d’argile parce qu’ils travaillent sur une chaîne de valeur dont la technologie évolue si vite que les usines en construction destinées à la production de certaines composantes deviennent désuètes avant leur mise en service.


Pierre Fitzgibbon a-t-il eu raison de se lancer le Québec dans cette course à coups de milliards? L’histoire nous démontre que s’il ne le fait pas, le Québec est condamné à rester un fournisseur de matières premières (certaines terres rares utilisées dans le processus de fabrication des batteries sont présentes ici). Ce pari est donc conséquent avec l’esprit « HEC 1978 » pour être un joueur qui compte dans une industrie donnée. Cependant, le pari est risqué et les résultats à ce jour sont,  pour le moins fragilisés.


Bien sûr, la filière batteries finira par se stabiliser et c’est alors qu’on établira les gagnants. C’est pourquoi je dis que sa politique, appuyée en cela par le premier ministre, ne peut être évaluée maintenant, alors que la fumée de la bataille de positionnement mondial cache encore l’issue de la guerre. Dans 10 ans, un peu comme on l’a constaté quand le Québec a investi massivement dans l’hydro-électricité, on saura si on est sorti collectivement gagnant du pari. Qui, aujourd’hui, mettrait en doute la pertinence des investissements majeurs de la Baie-James? Pourtant, à l’époque, les critiques ne manquaient pas.


En matière d’économie, le cycle d’évaluation dépasse les échéances électorales. Pierre Fitzgibbon a appliqué une logique de développement au Québec qui se veut conséquente avec sa lecture de l’autonomie économique souhaitée pour notre collectivité. On verra si les résultats seront au rendez-vous dans quelques années. Cependant, il est maintenant temps de changer de paradigme.


Les milliards consacrés à cette vision par notre bas de laine collectif doivent être maintenant être employés à une nouvelle vision qui appuient les PME innovantes aux marchés mondiaux nichés, à leur transition propre et à une nouvelle logistique des intrants et des extrants manufacturiers qui tiennent compte des circuits courts comme des réseaux de distribution planétaires du type d’Amazon.


L’attraction d’entreprises en « coups de circuit » ne doit plus être au cœur de la stratégie de croissance de la création d’emplois multiplicateurs, pour utiliser un terme cher aux économistes. Contentons-nous de coups sûrs qui nous amènent plus sûrement à faire le tour du losange. Les points ainsi obtenus sont aussi bons et permettent en passant l’augmentation de la productivité et de la capacité d’innovation des PME et la création d’emplois à 25$/heure…et plus!


 

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